Partage de la valeur 2025 : comment les TPE-PME peuvent transformer l’obligation légale en véritable levier RH

Publié le 27/01/2025 à 11h22

Ce que les TPE-PME doivent mettre en place dès 2025 pour rester conformes et renforcer leur politique RH

Un tournant social pour les TPE-PME en 2025

Après deux années de forte tension sur les prix (+4,9 % en 2023), l’inflation française est retombée autour de +2 % en 2024, selon l’Insee. Cette décrue apaise la trésorerie des entreprises, mais ne fait pas disparaître les attentes salariales nées dans la foulée de la crise inflationniste : la question du partage de la valeur reste plus que jamais au cœur du dialogue social. 

C’est justement pour répondre à ces attentes qu’a été adoptée la loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023, transposant l’accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023. Ce texte crée, à titre expérimental pendant cinq ans (2025-2029), une nouvelle obligation de partage de la valeur pour les entreprises de 11 à 49 salariés réalisant, trois exercices d’affilée, un bénéfice net fiscal ≥ 1 % de leur chiffre d’affaires. Les premiers exercices ouverts à compter du 1ᵉʳ janvier 2025 sont concernés. 

En clair : dès que votre TPE/PME remplit ces critères, vous devrez instaurer au moins un dispositif parmi :

* participation,
* intéressement,
* prime de partage de la valeur (PPV) ou plan d’épargne salariale. 

Au-delà de la conformité réglementaire, c’est une opportunité stratégique : fidéliser vos talents, renforcer votre marque employeur et aligner les salariés sur la performance économique. Ci-dessous, nous verrons :

1. Cadre légal et entreprises visées — comment savoir si vous êtes concerné ?
2. Quel dispositif choisir et à quelles conditions ?
3. Mettre en place, piloter et communiquer — la méthode pas à pas.

Cadre légal et entreprises visées : êtes-vous concerné ?

1. Un champ d’application clairement délimité

La nouvelle obligation de partage de la valeur s’applique uniquement aux entreprises:

Constituées sous forme de société (EURL, SARL, SAS, SA, etc.) ;
Employant en moyenne entre 11 et 49 salariés au cours du dernier exercice clos (effectif annuel moyen calculé selon l’art. L 130-1 du CSS) ;
Ayant réalisé trois exercices consécutifs (ex. 2022-2023-2024 pour un exercice civil) avec un bénéfice net fiscal ≥ 1 % du chiffre d’affaires

Exemple : une SAS de 18 salariés, bénéficiaire à hauteur de 2 % CA en 2022, 1,3 % en 2023 et 1,1 % en 2024, entre dans le dispositif à compter de l’exercice ouvert le 1ᵉʳ janvier 2025.

2. Entreprises déjà couvertes : un cas d’exemption limité

Si votre société dispose déjà d’un accord de participation ou d’intéressement (ou d’un PER collectif alimenté par abondement) valide pour l’exercice en cours, la nouvelle obligation ne s’applique pas pour cette année-là ; vous serez toutefois tenu de rester couvert à l’avenir.

Bon à savoir : un simple versement ponctuel de prime de partage de la valeur (PPV) ne dispense pas de l’obligation si cet accord ou cette décision unilatérale arrive à échéance avant la fin de l’exercice de référence.

3. Focus sur les seuils d’effectif

Plancher : 11 salariés. En-dessous, l’obligation ne s’applique pas, mais les dispositifs restent facultatifs et fiscalement attractifs.
Plafond : 49 salariés. Au-delà de 50 salariés, la participation devient déjà légalement obligatoire (art. L 3322-2 du Code du travail). 
Le calcul s’effectue mois par mois, tous établissements confondus, puis on fait la moyenne. Pensez à inclure les CDD de remplacement, apprentis, etc., conformément aux règles CSS.

4. Le test “1 % du chiffre d’affaires” expliqué

Le législateur a retenu un indicateur simple : Bénéfice net fiscal ÷ Chiffre d’affaires ≥ 1 %, trois exercices de suite.

Bénéfice net fiscal : résultat fiscal imposable (bénéfice soumis à l’IS ou à l’IR).
Chiffre d’affaires : total net des ventes et prestations figurant au compte de résultat.

> Pratique : ajoutez ce ratio à votre tableau de bord financier annuel ; si la moyenne des trois dernières années franchit 1 %, déclenchez le projet “partage de la valeur”. 

5. Calendrier de déclenchement

Exercices observés : les trois derniers clos *avant* l’ouverture de l’exercice 2025 (ou suivant, pour les sociétés créées plus tard).
Période d’expérimentation : 2025-2029. Une entreprise nouvellement éligible en 2027 aura l’obligation dès cette date et jusqu’au terme de l’expérimentation, sauf pérennisation législative. 

6. Procédure de vérification – check-list express

ÉtapeQuestion cléSource interne / document
1Effectif moyen 11-49 ?Paie + DSN
2Forme sociétaire ?Statuts, K-bis
3Ratio bénéfice/CA ≥ 1 % trois ans ?Liasse fiscale, bilan
4Dispositif de partage déjà en vigueur ?Dernier accord d’intéressement/participation, décision PPV
5Période d’expérimentation encore ouverte ?Calendrier légal (2025-2029)

Une fois les cinq cases cochées, l’obligation est confirmée : vous devrez choisir et formaliser (par accord collectif ou décision unilatérale le cas échéant) au moins un dispositif de partage de la valeur avant la clôture de l’exercice concerné pour éviter tout risque URSSAF. Nous verrons comment par la suite.

Le législateur a voulu un test binaire et prédictible : si votre petite ou moyenne entreprise est rentable trois années d’affilée, le partage de la valeur n’est plus une option mais un levier stratégique obligatoire. Passons maintenant au choix du bon dispositif et à ses conditions.

Quel dispositif choisir et à quelles conditions ?

1. Panorama des quatre leviers

DispositifNaturePlafond 2025Charges socialesFiscalité salariéIdéal si …
IntéressementPrime collective indexée sur la performance20 % de la masse salariale ou 30 % du salaire individuelExonération totale de cotisations + exonération de forfait social pour les < 250 salariésExonération IR si placement sur plan d’épargneVous voulez un bonus flexible, indexé sur objectifs
ParticipationRedistribution légale des bénéfices (RSP)Calcul par formule légale (pas de plafond)Exonération cotisations, forfait social 0 % < 50 salariés, 20 % ≥ 50Idem intéressement si placementVotre résultat net est élevé et régulier
PPVPrime de partage de la valeur3 000 € ou 6 000 € si accord d’épargneExonération cotisations (hors CSG-CRDS)Exonération IR pour les salaires ≤ 3 SMIC jusqu’au 31 déc. 2026Vous cherchez un versement simple, ponctuel
Abondement PEE/PercolComplément employeur sur plan d’épargne3× versement salarié et ≤ 3 768 € (8 % PASS)Exonération cotisations + forfait social 0 % < 50 salariésExonération IR hors prélèvements sociauxVous visez l’épargne longue et la fidélisation

2. Trois critères pour trancher

1. Prévisibilité budgétaire

PPV : montant fixe, facile à budgéter.
Intéressement : dépend d’indicateurs (CA, marge, OKR…) ; plus volatil, mais motivant.

2. Horizon de détention

Court terme : PPV (versement immédiat, pas de blocage).
Moyen/long terme : intéressement ou participation + placement sur PEE/PER ; blocage 5 ans (ou retraite pour PER).

3. Message social

Participation met l’accent sur le résultat net ; bonne cohérence “profit-sharing”.
Intéressement valorise les KPIs métier (productivité, qualité, RSE).
Abondement renforce la culture d’épargne et la fidélité (effet “golden handcuffs”).

3. Zoom réglementaire dispositif par dispositif

3.1 Intéressement : la prime “sur-mesure”

Accord collectif ou décision unilatérale (en l’absence de délégué syndical).
* Durée : 3 ans maximum, renouvelable.
* Plafond : 20 % de la masse salariale annuelle ou 30 % de la rémunération individuelle.
* Exonérations : aucune cotisation sociale ; forfait social = 0 % pour les entreprises < 250 salariés, 20 % au-delà. 
* Fiscalité salarié : exonération d’IR si la somme est placée sur un PEE/PER.
* Souplesse : choisissez vos critères (marge brute, OKR, indicateurs RSE) à condition d’être vérifiables et de ne pas aboutir à une prime discriminatoire.

3.2 Participation : redistribuer les bénéfices

* Volontaire pour les 11-49 salariés, mais peut être choisi pour satisfaire l’obligation 2025-2029.
* Formule légale (art. L 3324-1 C. trav.) :
RSP = ½ × \[Bénéfice net – 5 % × Capitaux propres] × (Salaires / VA). 
* Placement : blocage 5 ans (sauf cas de déblocage anticipé).
* Exonérations : idem intéressement ; forfait social nul < 50 salariés. 

3.3 PPV : la prime “pouvoir d’achat” nouvelle génération

* Cadre pérenne depuis la loi n° 2023-1107 du 29 nov. 2023.
* Versements : jusqu’à 2 versements/an.
* Plafond : 3 000 € par salarié/an, porté à 6 000 € en présence d’un accord d’intéressement, de participation ou d’un plan d’épargne entreprise. 
* Charges : exonération totale de cotisations, maintien CSG-CRDS (9,7 %).
* IR : exonération pour les salariés ≤ 3 SMIC jusqu’au 31 décembre 2026 ; au-delà, réintégration possible. 
* Mise en place : accord collectif ou décision unilatérale après consultation du CSE lorsqu’il existe.

3.4 Abondement PEE / PERCOL : booster l’épargne des salariés

* Limite chiffrée : 3 × et ≤ 3 768 € (8 % PASS 2025 à 47 100 €). 
* Fiscalité : exonération de cotisations et de forfait social (< 50 salariés).
* Stratégique : fidélisation sur 5 ans ou jusqu’à la retraite (PERCOL).

4. Schéma décisionnel express

Question 1 : Votre bénéfice est-il volatil ?

Oui → préférez **intéressement** (indexé sur indicateurs) ou PPV ponctuelle.
Nonparticipation peut être pertinente.

Question 2 : Souhaitez-vous lisser la trésorerie ?

Ouiabondement PEE/PER, car fractionné au rythme des versements salariés.
Non → PPV ou intéressement versé en une fois.

Question 3 : Votre objectif RH principal ?

Fidéliser → Abondement ou participation + PEE.
Motiver à court terme → PPV ou intéressement sur indicateurs trimestriels.

5. Points de vigilance URSSAF

1. Accord écrit & dépôt (TéléAccords) sous 15 jours après signature.
2. Calcul plafonds : vérifiez cumul PPV + intéressement pour éviter dépassement 75 % PASS par salarié/an.
3. Égalité pro : critères neutres et non discriminatoires (genre, temps partiel, parentalité…).
4. Communication : remettre une notice explicative individuelle lors de la mise en place.

Mettre en place, piloter et communiquer : la méthode pas à pas

1. Préparer la négociation : diagnostic & calendrier

1. Vérifiez l’éligibilité (check-list Partie 1).
2. Informez / consultez le CSE – au moins 15 jours avant le dépôt si vous partez sur un accord d’intéressement ou de participation ; à défaut de CSE, organisez la consultation directe des salariés. 
3. Fixez un rétro-planning : ciblez la signature avant la fin du 1ᵉʳ semestre de l’exercice, pour laisser le temps au dépôt et à la mise en paie du versement.

2. Rédiger l’accord ou la décision unilatérale (DU)

Clause essentielleContenu minimum à sécuriserPoint d’attention
Champ d’applicationSalariés visés, date d’effet, durée (max. 3 ans pour intéressement)Inclure les alternants & CDD, sauf exclusion légale expresse
Mode de calculFormule exacte, indices aléatoires et vérifiablesBanni toute référence individuelle (respect égalité H/F)
RépartitionProportionnelle au salaire, au temps de présence ou uniformeMentionner proratisation temps partiel & absences
VersementDate limite (au plus tard le dernier jour du 5ᵉ mois suivant la clôture)Prévoir acompte si trésorerie tendue
PlacementPEE / PERCOL par défaut ou versement directJoindre la notice d’information
Suivi & révisionComité de pilotage, indicateurs et clauses de revoyureRéflexe compliance : clause “filet” en cas d’évolution légale

3. Signature et dépôt : zéro-défaut procédural

1. Signature :

* Avec Délégué Syndical ➜ accord majoritaire (50 % des suffrages exprimés).
* Sans Délégué Syndical ➜ ratification 2/3 du personnel ou accord CSE + référendum.
2. Dépôt électronique sur TéléAccords dans les 15 jours calendaires suivant la signature (pièces : PDF de l’accord + procès-verbal, table d’analyse, fichier de présentation).
3. Accusé de réception : conservez-le avec l’accord pour tout contrôle URSSAF.

4. Intégration paie & DSN

* Paramétrez le logiciel : nature de prime (= “intéressement”, “participation”, “PPV” ou “abondement”) + exonérations.

* Forfait social :

* 0 % sur intéressement et participation < 250 salariés. 
* 0 % sur abondement PEE/PERCOL < 50 salariés. 
* PPV : appliquez le plafond 3 000 €/6 000 € et déclarez via DSN (bloc 52 code 511). 

5. Pilotage opérationnel : tableau de bord annuel

PériodeAction cléResponsableKPI
T1Vérifier dépassement ratio 1 % CADAF% Bénéfice / CA
T2Comité de suivi : ajuster indicateursDir. générale + CSEScore KPI vs cible
T3Simulation budgétaire du versementControleur de gestionCoût employeur / MS
T4Communication interne & formation managersRH

Taux de compréhension (sondage)

6. Communication & marque employeur

1. Annonce multicanal : e-mail nominatif + réunion d’équipe + intranet.
2. Foire aux questions : synthétisez fiscalité, blocage, modalités de choix (PEE/PERCOL).
3. Storytelling : reliez le dispositif à la performance collective : “Chaque client satisfait = X € dans l’enveloppe”.

7. Contrôle & audit URSSAF

* Archiver 6 ans : accord, avenants, preuve de dépôt, listes de signatures, calculs.
* Auto-audit annuel : recalculez l’enveloppe et comparez aux bulletins.
* Réponse contrôle : mettez à disposition notice explicative et justificatifs paie ; la majorité des redressements vient d’un mauvais assujettissement forfait social.

Transformer l’obligation en avantage compétitif

En imposant dès l’exercice ouvert au 1ᵉʳ janvier 2025 un dispositif de partage de la valeur aux sociétés de 11 à 49 salariés rentables trois années de suite, le législateur n’a pas seulement créé une contrainte de conformité ; il a ouvert un levier RH stratégique. Bien pilotée, cette obligation :

1. Sécurise votre compliance : un accord ou une PPV correctement rédigés, déposés sous 15 jours sur TéléAccords et paramétrés en DSN neutralise tout risque URSSAF.
2. Renforce l’engagement : les études Insee et Dares montrent qu’une prime ou un intéressement indexés sur des objectifs clairs augmentent la fidélité de 12 % en moyenne sur trois ans. 
3. Optimise la charge salariale : forfait social 0 % sur intéressement/participation pour les < 250 salariés et sur l’abondement PEE/PERCOL pour les < 50 salariés ; exonération d’IR jusqu’au 31 déc. 2026 pour les PPV versées aux salariés ≤ 3 SMIC. 
4. Aligne rémunération et performance : participation sur le bénéfice, intéressement sur les KPIs, PPV sur le court terme ou épargne longue — choisissez le mix qui sert votre modèle économique.